Le baiser narquois qui se vole
Devient oeuvre d’art après coup
La griffe au hasard dans le cou
Fragilement ligne ou parole

La chair le verbe ne convolent
Mais se rejoignent par à-coups
Gribouillage bête ou haïku
Pacte tracé au Laguiole

Un fier savoir sans oripeaux
S’ébauche entre viandes et peaux
Fielleux emportements et rires

Ou vérité périclitant
Prise dans le corps un instant
Car c’est vraiment mordre qu’écrire

21. Couteau

Flegmatique paysan je
Laboure durement mon champ
Songeant seul au sexe de l’ange
(Au grain suave de son chant)

Un soleil pollué me guide
Où que se trace mon sillon
Nul cheval ne tire la bride
Nul n’insulte le noblaillon

De Ruiselede ou de Battice
Sont mes aïeux à pied venus
Dérouler fatum sans malice
D’honnêteté grave vêtus

Et d’autre chiffon qui me hante
Du labeur raison suffisante

20. Racines

L’ennui te porte jusqu’au Meir
Sans espoir d’y faire peau neuve
La fringue vêt le jour amer
(Moins mochement qu’à la rue Neuve)

Le spleen est parfait pour le Stroom
Du vent du soleil en terrasse
Ondertussen een beetje room
Dans ton café sur la Grand-Place

Tu enrages que pour Anvers
L’inexacte rime française
Te mette le coeur à l’envers
En l’absence de cingalaise

Putain siffle une De Koninck
Pour louer Herman de Coninck

19. Anvers

L’intérieur est le monde entier
Qui se trémousse puis avale
De l’être le suc en cavale
Bel or ou sucre du rentier

L’antre est rature du cahier
Un sens filandreux qui s’étale
Divague et se perd un pétale
Qui colle sa mort dans l’herbier

À tout passage s’abandonne
La goutte de vie qui se donne
Par cahoteux frémissement

Et si ce n’est fleur c’est charogne
Émouvante qui se besogne
De l’œuvre toujours le ferment

18. Programme

Il recherchait la dureté
Jouissait avec Extinction
Thomas Bernhard récréation
Sublime perfide âpreté

D’aucuns y voyaient saleté
Complaisance sans distinction
Désaveu de la contrition
Fiel ou venin en aparté

La destruction d’une famille
Une société en charpie
Telle était sa consolation

Saveur d’une littérature
Où se révère la fissure
Mieux que la candide émotion

17. Extinction

Il écrit quand faire se peut
Docile à toute morte tâche
Maugrée contre la pauvre tache
Qui le rend artiste si peu

Dans sa tête quand il le veut
Il rejoint les armées potaches
Des soiffards croqueurs de pistaches
Inventeurs d’ombres à leur vœu

Il maîtrise son infamie
Se crée liberté et manie
Sans rage colère ni bruit

Puis se repaît de vies poreuses
Traces ou pochades peureuses
De vers en vers le moindre fruit

16. Destin

On essaie la grandiloquence
Sans être payé se payer
De mots se rappeler l’enfance
Putride le bonheur rayé

C’est qu’on va tourner élégiaque
En gentil bonhomme craintif
À ne se vouloir plus orgiaque
Adorateur du corps rétif

C’est ainsi est morne la muse
Quelques matins sous ses rondeurs
Qui se complaît au temps qui use
Et ternit jusqu’à ses blondeurs

Intimes secoue-toi donzelle
Muette et réveille ton zèle !

15. Autre matin

La douleur de ne rien casser
(Un vieux Michel Sardou dixit)
Traînaille toujours à passer
On attend le crabe et l’exit

Las on n’a pas été meilleur
Et quelquefois même pas bon
On fut champion de la rancoeur
Entre Nazareth et Beaumont

On espérait quoi un mollet
À disposition un trottin
Vantant le poète parfait
(Non le petit homme qui geint

Banalement se plaint du cours
Des jours cotonneux mais trop courts)

14. Un matin

Pour tout contenir un carnet
C’est parfait noir de préférence
Tant qu’à la fin le texte est net
De la ritournelle au silence

À moins de le vouloir bordeaux
Et faux cuir couleur obsolète
Des dessous de fille à bordeau
À la chair rose mûre ou blette

Des griffonnages exhaustifs
Y rappellent mieux qu’un smartphone
La catabase des sous-tifs
Cher dévoilement où frissonne

Entre les vals et monts du Rhin
Encore l’œil contemporain

13. Carnet noir

Elle lisait Monsieur Ronsard
Poète neuf à sa joue blême
Que le moderne soit ringard
Ne lui était pas un problème

Elle déchiffrait l’Arétin
Rêvait de miroirs et d’esquisses
Que se chante son blanc tétin
Sur de longues toiles propices

Pour le dérèglement des sens
Elle n’adhérait à Banville
Pas plus horresco referens
Qu’à Jean-Arthur de Charleville

Mais au seul tracé de sa main
Créatrice de plaisir maint

12. Une fille raisonnable