1. Cammy

Photo Blog Truxton Orcutt 1

Quand Camille a débarqué chez moi, j’essayais de me motiver à vider mon garage, mais je n’arrivais pas à m’y mettre. C’est fou ce qu’un type de mon âge, et sans femme, peut accumuler comme merdes. Camille Delatour, photographe de guerre, est un vieux pote de lycée du nouvel éditeur de Jérôme Delclos, mon traducteur français. Comme Camille, qui est venu en Greyhound de Miami via Orlando puis Jacksonsville, s’est arrêté en chemin pour acheter un pack de ma marque, on a tout de suite sympathisé, et les cadavres de Miller Lite sont venus tenir compagnie aux autres dans le dépôt.

Si vous voulez mon avis, il n’y a qu’un putain d’européen pour tomber en extase devant des cartons de bouteilles vides, qu’il a mitraillé avec son Canon. A la troisième bière, Camille m’a annoncé qu’il avait un message pour moi de la part de Jérôme et de son éditeur : ils me proposent de tenir le blog de la maison d’édition comme «écrivain en résidence»[1] durant un an, et il  n’est pas impossible que soit réédité L’Hospitalité des voleurs dans la traduction française de Jérôme, qui est épuisé. On a causé avec Camille, qui serait partant pour illustrer mes textes sur le blog avec ses photos. J’ai émis une condition : aucune photo de moi. Camille a beaucoup bourlingué aux Etats-Unis, il a des amis au Texas et en Louisiane, dont pas mal de flics qui ont consacré leur existence à se tanner le cul dans des voitures pie. Comme il fait très chaud, on a eu tôt torché le pack. Après quoi j’ai sorti d’autres Miller bien fraîches du réfrigérateur pour fêter notre association.

Je ne sais pas trop ce que je vais raconter sur ce blog, à destination d’un public français. Je pense que je vais faire comme d’habitude, selon mes humeurs et au petit bonheur-la-chance. Camille n’a pas de contraintes et moi non plus, il peut rester autant qu’il veut. Il m’a expliqué qu’il a besoin de se mettre au vert pour quelque temps, son dernier reportage à Mossoul a mis ses nerfs à bout. Il veut tailler un peu la route et surtout voir du bayou. Prendre son temps, le perdre, même. Se ressourcer, dit-il. Si j’ai bien compris, lui et l’éditeur de Jérôme ont fait, comme disent les français, «les 400 coups» durant leurs années de lycée dans une ville moyenne écrasée d’ennui au bord de l’autoroute du Sud. Je crois que demain, je lui montrerai l’élevage. Une grosse mère a pondu, il faut la séparer des autres, et avec Zack et Everett ça va bien nous occuper une matinée, si c’est pas la journée, vu le tempérament de Madame. Camille n’a jamais goûté à de la viande d’alligator, mais vu ses états de service, il doit être de ces types qui se régalent de tout ce qui se présente, pourvu que ça ne soit pas une pizza sitôt ramollie qu’on l’a sortie du carton. Je suis sûr qu’on devrait bien s’entendre.

Il est d’accord pour que je l’appelle « Cammy » plutôt que Camille, vu qu’ici c’est un prénom féminin : tout le monde se marre quand il le dit. Ou alors Cameron, cabrón ! Mais pas Camille ! Et comme il vit et dort avec sa camera, Cammy, c’est plutôt lui. Va pour Cammy.

[1] En français dans le texte (note du traducteur).

 

Photographie @pjpink

 

1 Comment

  • jérôme DELCLOS Répondre

    Je suis ravi de permettre, comme traducteur, le retour de Truxton sur la scène française, en bonne compagnie de Michel Rechu, photographe français fou des USA. Merci à toute l’équipe d’Æthalidès pour cette heureuse initiative !

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