4. Des voitures

A nouveau sur la route… J’ai beau croire bien connaitre les européens, ils m’étonneront toujours. Ainsi de la fascination de Cammy pour les voitures américaines. Il se montre enchanté d’être mon passager dans mon vieux pickup Ford 150-F — un modèle démodé —, et lors d’une pause il l’immortalise avec ferveur. Il me demande aussi de ralentir, ou même de m’arrêter, pour pouvoir photographier à son aise des panneaux routiers, des pompes à essence, des motels : tout ce paysage qui de mon point de vue est d’un ennui mortel. Ça doit lui rappeler des films ou des séries TV.

Pour ma part, je donnerais cher pour pouvoir plutôt rouler dans cette voiture française de légende que l’on voit dans le Samouraï de Melville, et qu’évoque mon traducteur Jérôme Delclos dans son livre Vingt Leçons de philosophie par le meurtre : la Citroën DS ! J’ai lu il y a longtemps la fameuse étude de Roland Barthes sur cette merveille de beauté au design fantastique. Je confie à Cammy que ce que j’aimerais plus que tout, c’est conduire ce bijou sur la mythique « Nationale 7 » qui traverse la France de Paris à Menton, ou sur l’une de ces routes en lacets de la Riviera française, que là-bas ils appellent des corniches : « Petite corniche », « Moyenne corniche », « Grande corniche »[1], autant de noms qui me font rêver. Cammy en rit à s’en étouffer, il croit même que je me paye sa figure. Il m’apprend, à ma grande déception, que cette voiture toute en courbes n’existe plus nulle part en Europe, pas plus que la CX, ou l’incroyable « 2CV » que certains amateurs, ceci dit, restaurent et customisent.

Je comprends encore moins que Cammy puisse soutenir qu’il se sent mieux ici qu’en France, ou alors en Italie. Je lui oppose la gastronomie française, les vins fins, mais il ne jure que par les travers de porc, la Bud’s et la Pabst Blue Ribbon. Merde, la France, quand même : la patrie de Bocuse, de Brigitte Bardot, d’Edith Piaf et de Stendhal qui vivait à Grenoble, une ville que connait Cammy. Il me raconte qu’à Grenoble, c’est une plaque discrète sur une façade qui signale la maison de Stendhal, et que la plupart des habitants de Grenoble ignorent tout de l’écrivain de Le Rouge et le Noir. Je me demande s’il me fait marcher. Mais après tout, quantité de gens qui vivent à Key West doivent ne pas connaitre la maison d’Hemingway, et si ça se trouve ne savent pas même qui c’est. Je conduis, je pense à tout ça, au caractère éphémère des choses, des vies, des œuvres. Au fait aussi qu’on se sent souvent mieux dans un pays étranger que chez soi, parce que dans le voyage on se sent plus libre qu’à la maison, et que le moindre détail devient attirant parce qu’il est nouveau. Cammy finit par conclure notre discussion par une phrase que je note soigneusement, en français, dans un coin de mon esprit : « L’herbe est toujours plus verte ailleurs ». Là-dessus au moins, on est d’accord.

[1] En français dans le texte

Photographie ©Gerry Dincher

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