6. Une rencontre du côté de la Yellow River

On n’est pas parti depuis très longtemps, on est du côté de la Yellow River, et on entend une série de chocs sourds sous la voiture. Je pile. On se retrouve dehors dans la chaleur à revenir à pied vers un gros sac de poils mouillés : un ragondin. Il a dû sortir du marais, ou vouloir y retourner. On tourne autour prudemment, on le pousse un peu de la pointe de la godasse, et quand Cammy et moi sommes sûrs qu’il est bien mort parce qu’on ne veut pas se faire arracher une phalange, on l’attrape chacun par un bout, on le jette sur le bas-côté. Incroyable comme ces bestioles pèsent leur poids. On revient vers le pickup, on prend le temps de s’en fumer une, on repart.

Moins d’une dizaine de miles plus loin, je suis obligé de m’arrêter encore parce que le moteur chauffe. Inspection du problème. Cammy, accroupi par terre, me dit que ça fuit sous l’avant. Je regarde : le gros enfoiré nous a niqué le radiateur quand on lui a roulé dessus, et ça pissotte. C’est bien notre veine ! Je me dis que Larhonda avait peut-être raison, certaines femmes de par ici ont un sixième sens pour ça : le français doit porter la poisse. J’ai mon petit moment d’irritation : « Putain, Cammy, tu l’as pas vu, toi ? ». Ben non, et je dois reconnaitre que moi non plus. Je récupère le bidon de liquide de refroidissement dans le coffre, on attend que ça refroidisse avant de desserrer le bouchon, et je refais le niveau. On reprend la route, et on s’arrête régulièrement pour contrôler le niveau du vase d’expansion du circuit, remettre de la flotte tout doucement pour éviter les bulles d’air. Quelle chierie ! On finit par atteindre un bled désert à cette heure chaude de l’après-midi : des maisons basses en bois, des pontons de guingois, quelques bateaux qui pourrissent à l’ancre. Des épaves de bagnoles ou de trucks un peu partout.

On trouve une station-service flanquée d’un atelier de mécanique à la sortie ouest. Le mécano, un type sec comme un coup de trique an salopette Castrol, prend son temps pour évaluer les dégâts sans rien dire, appuyé au-dessus du moteur et s’essuyant ou se salissant les mains à un chiffon noir de cambouis. Il finit par se redresser et par lâcher que ça prendra deux jours, peut-être trois. Et surtout, il nous annonce une somme extravagante pour les travaux. Et puis quoi encore ? Ce connard a dû nous prendre pour les pigeons du mois.

A quoi bon essayer de négocier, ou même répondre quoi que ce soit ? Je referme le capot avant, je fais un signe de tête à Cammy, on remonte dans le pickup. Tandis qu’on s’arrache de là toutes vitres baissées, j’adresse un doigt à l’autre enculé, on l’entend qui ricane. Dans le rétro intérieur tandis qu’il rapetisse à ma vue, je le regarde qui nous fait un petit signe ironique de sa main noire de graisse, dans le genre : « Bon voyage ». Ouais, c’est ça, touche ton cul, dis-moi si ça sent bon !

 

Photographie ©William Murphy

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