7. Une étape au Lone Star

Comme on n’en peut plus de s’arrêter à tout bout de champ pour remettre de la flotte dans le radiateur, et que Cammy insiste pour passer la nuit dans un motel, on quitte la route pour le parking du Lone Star, dont l’enseigne lumineuse fêlée clignote faiblement. Cammy mitraille le secteur à tout-va avec son Canon, je lui demande ce qu’il peut bien trouver à cet endroit sans attrait. Il m’explique que ce qui lui plait, c’est l’idée d’être nulle part, dans une sorte de stase temporelle et spatiale. Ces français sont vraiment dingos.

Le taulier est un type mélancolique et sans âge, qui passe son temps à regarder on ne sait trop quoi sur le parking et peut-être rien à travers la fenêtre, ou alors le cul des bagnoles. Il hoche la tête en silence en nous écoutant lui raconter nos ennuis mécaniques. Je lui glisse un mot à propos de mon idée pour la réparation du radiateur. Il acquiesce, toujours taiseux, finit contre toute attente par m’assurer que demain matin il nous arrangera le coup, que ce genre de panne c’est vraiment que dalle. Puis il retourne à sa morne contemplation. Comme il tient à disposition de ses clients une grande armoire frigorifiée, on lui achète deux packs de Corona bien fraiches et des trucs à grignoter.

On regagne nos pénates pour la nuit : deux chambres mitoyennes d’une propreté ma foi correcte, où le Wi-Fi fonctionne bien. Cammy rapplique dans ma turne, lui s’installe au bureau devant sa tablette, moi sur mon plumard avec la mienne. Pendant qu’il me transfère ses photos sur ma boite mail, j’écris ma première chronique pour les français, puis la seconde, d’une traite, je pense que ça devrait coller.

A un moment, on frappe à la porte de ma chambre. Cammy va ouvrir : deux gonzesses. Elles ont dû nous observer en douce entrer dans nos chambres avec les packs de bières, parce qu’elles nous demandent, sitôt les présentations faites, si on n’a pas quelque chose à boire, pour accompagner les paquets de crackers et de chips qu’elles nous proposent de partager avec elles. Une fille d’une vingtaine d’années aux cheveux bleus et qui arbore pas mal de piercings de lèvres et d’oreilles, plutôt mignonne. Et sa mère, une quinqua encore potable qui rigole tout le temps. On commence à boire les bières et à taper dans les chips avec ces deux nénettes sorties de nulle part, et qui se pâment en gloussant devant les photos de Cammy. A nous quatre, on descend les deux packs en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Cammy tente sa chance tandis que je garde prudemment ma réserve. Les deux grognasses nous allument un peu, se laissent caresser les genoux et pinçoter la taille par Cammy, mais assez vite elles abrègent, et avec le français on se retrouve seuls devant les bouteilles vides. N’importe comment, on est aussi crevés l’un que l’autre. On reste encore une petite heure à bosser pour le blog, on trouve sans trop de peine des pistes pour illustrer mes deux premiers textes avec les photos de Cammy. On se quitte là-dessus, Cammy se replie vers sa chambre. Sur le seuil, il se tourne vers moi, il fait comme ça avant de refermer la porte : « Bon, c’est con, j’aurais bien fini la soirée avec la jeune ». Je lui réponds qu’il n’avait aucune chance.

 

Photographie ©Anne Elliott

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