9. Cent dollars plus les frais

On fait halte à midi dans un Dinner, et la chance nous sourit. On est là, attablés à attendre notre commande — Miller lite, travers de porc, chili —, et j’avise à quelques tables de la nôtre, de dos, une gonzesse aux cheveux bleus. Je me penche un peu pour mieux voir : en face d’elle, Lady Pickpocket, ma quinqua du Lone Star. Cammy a noté mon regard, il se retourne au ralenti comme The Killer dans le film éponyme de John Woo. On se met debout en même temps, on allonge le pas en direction de nos deux copines. Elles lèvent le nez de leurs assiettes de gombo, elles comprennent. On pose nos culs sur les deux chaises vacantes, moi à côté de la vioque, forcément Cammy tout près de la petite punk. Je fouille dans une poche de mes shorts, j’y pêche la plaque de police que j’ai toujours sur moi, celle d’un adjoint au sheriff du Comté d’Okaloosa, que je lui ai barbotée un soir de beuverie. Je la fais voir discrètement aux gonzesses sans rien dire, elles n’en mènent pas large. La vioque se recompose vite un visage, se drape dans sa dignité : « On peut peut-être s’arranger ? ». La jeunette a déjà sorti les talbins de Cammy de son sac-à-main, elle les fait glisser d’un doigt vers lui qui les recouvre de sa pogne. La vioque poursuit, à voix basse et en regardant la jeune bien droit dans les yeux : « Et si on faisait un deal, messieurs ? ».

On se retrouve avec Cammy sur le parking à l’arrière de la tire de ces dames, les shorts baissés sur les chevilles, tandis qu’elles nous pompent le dard avec application. Mais je ne sais pas si c’est la chaleur, la position d’inconfort, ou le fait simplement qu’on est de braves garçons : toujours est-il qu’on reste flasques. Parlez de retrouvailles ! On s’attarde un peu pour la forme, histoire de ne pas paraitre grossiers, puis on se rebraguette, et on ressort sur le parking chauffé à blanc. On les regarde un moment qui se recoiffent tranquillement, se contorsionnent pour passer à l’avant, mamie au volant, cheveux-bleus à côté qui se refait une beauté dans le miroir du pare-soleil. Soudain, elles s’échappent en faisant hurler les chevaux du V-6 et en brulant de la gomme.

On retourne dans le Dinner, on apprécie la climatisation. Nos bières nous attendent bien embuées, nos ribs, le chili fumant dans sa sauce rouge piquante. Cammy refourgue sans rien dire ses biftons dans son larfeuille. La serveuse a dû noter notre petit manège, elle se penche tout sourire, son pichet de café à la main : « Anything else, gentlemen ? ». Décidément, c’est jour de bonté. Cammy lui rend son sourire en déchiffrant son prénom épinglé à la blouse sur son sein gauche : « All is perfect, Heather, merci ! ». La fille m’adresse un clin d’œil, elle repart vers le comptoir. On la suit des yeux tandis qu’elle prend tout son temps, et s’évente paresseusement avec un menu.

 

Photographie @Frystpingvin

1 Comment

  • Renaud Delattaignant Répondre

    C’est juste excellent : les rythme, les sensations, les talbins, et la buée sur la bière. J’ai passé 5mn en Amérique…et c’était damn good!

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