Corrections orthotypographiXXX

« Sérieusement, Marie-Anne, on doit prendre une décision : “Il fallait que je lui suçasse la chatte”, franchement, ça ne te gêne pas ?

— Ben non, la correspondance des temps est correcte, c’est bien du subjonctif imparfait…

— Mais alors pourquoi “il fallait qu’il foute, crénom de Dieu !” est, lui, au présent du subjonctif ?

— Ah, mais c’est différent, Isabelle. Là, il s’agit d’un absolu. Lorsque Wisielec décrit Adam au Prologue, il décrit l’homme en tant qu’archétype. C’est un absolu. Ecoute : “il fallait qu’il connaisse, qu’il défonce et dévore, il fallait qu’il répande ses gènes et s’approprie le monde et peste soit des femelles clitoridiennes !” Il s’agit d’une caractéristique générale, intemporelle. Donc il ne faut pas accorder le verbe au subjonctif imparfait mais bien au subjonctif présent. Non, non, c’est correct. »

Dame Zabelle, à moitié convaincue, opinait légèrement de la tête. « Mamie-Anne », notre sexagénaire experte en orthotypographie, forte de décennies d’expérience, porta la tasse à ses lèvres pour siroter son thé. Nous étions toutes les trois attablées dans une salle de réunion de la Cordée, et traitions les derniers points ouverts des corrections du roman de Wisielec.

« Tandis que, tu vois, dans la scène où le narrateur décrit sa rencontre avec Muriel, continua Mamie-Anne pour clore son argumentation, eh bien, là, il s’agit d’un homme spécifique, une instance particulière de cet archétype qu’est Adam. Il ne s’agit pas d’une idée absolue mais d’une action bien précise. “Il fallait que ma bouche s’unît à sa vulve, il fallait que je busse à son Graal, il fallait que je suçasse sa chatte”, non, tout cela est correct. Qu’en penses-tu, Cendy ?

— ça se tient, dis-je.

— ça se tient ou ça se frotte ? Enchaina la sexagénaire avec un œil rieur.

— Hon, ça se tient ET ça se frotte, confirmai-je en manquant de m’étouffer avec un biscuit.

— Bon, O.K pour ce point, passons au suivant, insista Dame Zabelle qui avait son train à prendre. Je suis à la scène du pantacle. J’ai vu que Wisielec a corrigé le paragraphe qui coinçait, c’est mieux.

— Quel paragraphe ? demandai-je.

— La fellation d’Atalante, dans le rituel, juste après l’anulingus de l’adepte à sa reine. “La bouche d’Atalante insuffla la vie au priape. Chaleureuse, elle fortifia sa vigueur et lui laissa toute son ardeur en se retirant.”

— Ah oui, c’est mieux, confirma Mamie-Anne. C’est plus élégant. Mais alors, c’est quoi qui te pose problème dans cette scène ?

— La sodomie.

— ça, c’est un problème pour nous toutes ! s’esclaffa Mamie-Anne. »

Dame Zabelle rougit et partit d’un petit rire.

« C’est clair que l’auteur est un mec, avançai-je. Comme quoi l’érudition ne préserve pas de la testostérone. Toutes les scènes de cul de Wisielec sont des fantasmes de mec. Il nous a même fait le coup du plan à trois.

— Une belle scène d’autofiction, du reste, me taquina Mamie-Anne en me tapant sur l’épaule.

— Bon, sérieusement, les filles, j’ai plus que cinq minutes avant de courir attraper mon train. On se finit, oui ou non ?

— Je vote pour, fis-je. Alors, c’est quoi qui te gène dans cette scène de sodomie ?

— Le possessif “sa” dans “Le laborieux sectateur ôtait alors sa langue du cul de sa partenaire pour y enfourner son vit.” Il faudrait pas dire “la” langue plutôt que “sa” langue ?

— C’est une bonne question, dis-je. Je sais pas… Pourquoi changer pour « la » langue si tu laisses « son » vit ? C’est pas la même règle d’un point de vue grammatical ?

— Si je résume, fit Mamie-Anne de sa voix rauque d’ancienne fumeuse de gitane, “son” vit te dérange pas mais “sa” langue si.

— Vous êtes incorrigibles, rit Dame Zabelle en rougissant une nouvelle fois. Bon, je vous laisse conclure sur ce point, moi faut vraiment que j’y aille.

— Pique pas la mouche, ma belle, l’arrêta Mamie-Anne. Je pars avec toi. J’ai promis un pot-au-feu à mon homme, ce soir.

— Tu fais la cuisine pour ton homme, toi ? Fis-je, surprise.

— Que veux-tu, confessa la disciple de Beauvoir, c’est pas parce qu’on s’est libérée à vingt ans qu’on peut pas s’offrir quelques joyeux moments de servitude à soixante ans… »

Par la fenêtre, quelques minutes plus tard, je regardai mes amies, deux générations de femmes, quitter l’immeuble et s’enfoncer dans la nuit.

Et je réalisai que la grammaire recèle des plaisirs insoupçonnés.

J’adore les séances de corrections orthotypographiXXX entre copines.

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