Le Sucre est-il bon pour la santé ?
Il y a eu un moment fort intéressant au Sucre hier soir, au début de la « Closing party » des Nuits Sonores, lorsque le ministre de l’Intérieur et maire-sénateur de Lug-Dunum nous a fait l’honneur de nous rejoindre sur le roof floor : une quinzaine de festivaliers assis en terrasse ― la plupart, soyons honnêtes, drogués depuis trois jours ― se mirent à l’applaudir, applaudissements qui furent çà et là discrètement, très discrètement, sifflés par une poignée d’autres festivaliers ― eux aussi, soyons honnêtes, drogués depuis trois jours.
Cet épisode, je tiens à le préciser, resta anecdotique, tant la politique partisane n’a heureusement aucune influence sur ce beau festival, et la demi-heure que passa le ministre sur le toit, à écouter ses hôtes et échanger avec quelques festivaliers, fut considérée par tous comme une aimable visite de courtoisie d’une star locale, sans impact sur la jouissance sonore qui s’ensuivit sur le dance-floor, avec des B2B qui s’enchainèrent jusqu’à 3h du matin entre The Hacker et Maceo Plex et Oxia, bref, une autre nuit de folie dans un festival extatique.
Cependant, au risque d’être prise pour une politicienne de petit acabit, cet épisode, ces applaudissements, m’ont interpellée. Certes, on peut les justifier en précisant que, premièrement, le ministre était accompagné de Vincent Carry, qui est le héros emblématique de notre génération de lyonnais ; que, deuxièmement, le ministre est un maire respecté qui portait l’étendard d’un nouveau Président de la République pour qui la majorité des bobos présents nourrissent une forte sympathie ; et que, troisièmement, tous les susdits drogués avaient conscience qu’ils devaient cette possibilité d’une parenthèse dans leur vie quotidienne, ce séjour rituel et annuel dans l’Île aux Enfants, grâce au travail d’une armée de policiers sur le pied de guerre depuis des semaines pour les protéger du risque terroriste. Tout cela est très clair. Cela étant dit, comment ne pas ressentir une certaine perplexité devant ces faits : vingt ans après le traumatisme de Polaris, sommet de la répression française anti-techno qui frappa si durement Lug-Dunum, le ministre de l’Intérieur est accueilli avec des fleurs au cœur du plus grand festival électro de France. N’est-ce pas le signe que les temps ont changé ?
N’est-ce pas le signe que l’électro est devenue adulte, que la France est devenue globale, et que les collectivités locales – les villes les premières – ont compris le levier formidable que représente ce mouvement artistique pour leur essor économique et social. Lug-Dunum, clairement, est une ville pionnière en ce sens.
― Mwouaih, commenta une amie d’Évariste Ducasse présente ce soir-là, à qui je confiais ces pensées (et elle partit d’un petit rire par lequel elle entrecoupait chacun de ses dires), mais y a quand même encore un putain de hic : on peut toujours pas fumer le calumet de la paix en paix. Toute drogue dans cette enceinte est interdite, c’est un petit peu hypocrite, non ? dit-elle en continuant de rire, avant de préciser : je veux dire, ça m’a obligé à prendre cette goutte de LSD beaucoup plus tôt que je voulais.
Ah oui, tiens, c’est vrai, il reste ce petit détail, ce petit paradoxe à régler.
Car enfin, la question n’est pas de savoir si le Sucre est bon pour la santé : nous savons tous que tout dépend de la fréquence et de la quantité.
Photographie @Miss Nikski