J’aime mon gynéco

J’aime mon gynéco.

Je sais, c’est pas très beau.

Un œil clinique m’ausculte la foufoune, une virilité en sait plus que moi sur mon intimité, et mes jambes écartées, mes jambes enferrées, ont l’immobilité d’une jument sage et austère chez le vétérinaire.

Autant pour mon orgueil…

La mode est à la régression « narcissisante » : les gourous du coaching nous enseignent combien il est important de s’autoriser des activités gratifiantes, de manière à nourrir et entretenir notre confiance en soi. J’affirme qu’il est également important de s’imposer au contraire des moments humiliants, des instants où l’être que nous sommes perd toute son individualité pour manifester l’espèce à laquelle il appartient.

Et pour cela, rien de tel qu’une bonne séance chez le gynéco.

Au début je combattais la gêne que je ressens, lorsque ses doigts me pénètrent, par la rationalisation. J’élaborais des théories. L’une d’elle disait que j’avais tout simplement peur d’éprouver du plaisir dans cette manœuvre médicale ; qu’un noyau hystérisant chez moi — et quoi ! Ne suis-je pas une simple femme ? — ne pouvait s’empêcher de vouloir le séduire, mon beau gynéco, et que succomber au plaisir serait lui faire une offrande par laquelle naîtrait son désir. Une autre théorie, dans la continuité de la première, disait que mon choix du gynécologue était une indication de mon orientation sexuelle : cette peur d’éprouver du plaisir m’orientait naturellement vers le sexe où je pensais instinctivement ne pas pouvoir en éprouver. Autrement dit, pour le dire crument, si je choisis une gynécologue femme, c’est que je suis clairement hétéro. Si je choisis un homme, c’est que j’ai un saphisme larvé. Mais toutes ces rationalisations s’effondraient au fur et à mesure de mes nombreux actes manqués : combien de rendez-vous oubliés, combien de notes égarées, et moi, qui procrastine, en me disant que décidemment je tarde trop et que ma santé pâtira de mon manque d’assiduité — d’autant plus que la gêne éprouvée est constante, que le gynéco soit un « il » ou un « elle ». Certes, je suis notoirement bisexuelle, mais tout de même.

Avec le temps, j’ai compris que la gêne que j’éprouvais n’avait rien de sexuel. Elle était juste narcissique. L’œil clinique qui m’ausculte la foufoune me dit que je ne suis qu’une femme, comme toutes les femmes ; que Cendre-Bleue est une invention temporaire, une élaboration fragile et culturelle que le temps détruira vite ; et qu’au-delà de moi, il y a toute mon espèce. Et il n’y a qu’elle qui compte.

J’aime mon gynéco, parce qu’il me rappelle que je dois lutter contre l’illusion d’être une et unique, différente, mieux, plus importante, que l’ensemble de mes semblables. J’aime mon gynéco parce qu’il me rappelle que je suis toute l’humanité, et rien que l’humanité.

Parole évangélique, me direz-vous. Et comme il arrive souvent, telle l’influence magnétique d’une Pythie qui se répandrait sur le parvis du temple, j’ai assisté l’autre jour, dans la salle d’attente de mon gynéco, à une envolée d’humanité qui ne fera qu’illustrer mes propos.

Deux mères discutaient.

Deux femmes fières de leur petit phallus, de ces enfants qu’elles avaient amenés au monde et dans lesquels elles pouvaient projeter tout leur désir inassouvi.

La première parlait de la nounou qu’elle venait d’embaucher.

« Tu te rends compte, disait-elle, son précédent employeur était un homme strict et narcissique, un pervers certainement, qui lui avait donné pour mandat d’assurer un dix-huit sur vingt de moyenne générale à sa progéniture.

— Non ! rétorquait la deuxième.

— Si, je t’assure, continuait la première. Ce pervers narcissique n’avait qu’une seule idée en tête : la réussite scolaire de ses enfants. Il forçait sa gamine de douze ans à travailler jusqu’à vingt et une heure le soir.

— Quelle horreur ! Le genre de type à bousiller ses enfants. Et quelle valeur va-t-il leur inculquer !

— Alors, moi, forcément, j’ai dit à la nounou : pas de ça chez nous ! Pour nous, ce qui compte, c’est le bonheur de nos enfants. Leur équilibre psychique. Qu’ils soient bien dans leur peau. Voilà tout ce qui compte.

— C’est bien dit.

— Oui, s’extasia la première femme. Des enfants entiers, en bonne santé, adaptés, capable d’affronter le monde, dans le respect de l’autre, et avec la curiosité de découvrir et de s’ouvrir. Il n’y a que cela qui importe.

— Et cela se passe bien ? demanda la deuxième après un court silence.

— Tu penses ! Tout marche très bien. Ils sont tête de classe et ont dix-huit de moyenne générale ! »

Je ne pus m’empêcher de rire en entendant ces mots.

Je suis toute l’humanité, et rien que l’humanité.

J’aime mon gynéco.

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